Don Giovanni présentation pour le Lycée Bonaparte

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Don Giovanni de Mozart Viva la libertà !

By TV83.info -Avr 22, 20210

Souvenir. Don Giovanni, est le premier opéra que j’ai vu. J’avais quinze ans et ce fut un des chocs de ma vie. À l’opéra de Marseille dans la mise en scène de Margherita Wallmann je découvrais un univers d’émotions et de beauté. Je jurais de l’explorer. La liberté est un bien précieux, mais il faut avoir un petit capital d’exploitation pour la cultiver.

Lors d’un dernier sondage, on demandait aux européens ce qu’ils regrettaient le plus en cette période de crise.  La liberté clamèrent-ils unanimes. La liberté ! Comment la définir ? Est-ce l’absence de contraintes ou la possibilité de choisir ? N’est-ce pas alors un idéal à valeur universelle ? Ouvrir… ouvrir…. Les théâtres, les cinémas, les restaurants, les discothèques, les festivals, les cirques, les courses, les salles de concert…

Nous vous invitons dans cette nouvelle rencontre lyrique à réfléchir à ce concept complexe à partir d’un des plus célèbres opéras du répertoire classique Don Giovanni ossia Il dissoluto punito de Wolfgang Amadeus Mozart (1787) sur un livret de Lorenzo Da Ponte inspiré du livret de Giovanni Bertati pour   Il convitato di pietra de Giuseppe Gazzaniga créé la même année.

L’opéra des opéras.
Don Giovanni, que Wagner appelait « l’opéra des opéras », est une œuvre aux dimensions tragiques et métaphysiques auxquelles se mêlent, comme dans le théâtre de Molière, des aspects plus légers. Cet ouvrage, que Mozart qualifiait de « dramma giocoso » (drame joyeux), semble réaliser la synthèse de tout ce qui fascine dans la culture quand elle est le reflet condensé des mille et un aspects de l’âme humaine. Avant toute chose, soulignons que le musicien a bénéficié ici d’un livret particulièrement soigné, celui de Da Ponte.

Lorenzo Da Ponte 1749-1838. Emmanuele Conegliano, dit Lorenzo Da Ponte, de famille juive, se convertit au catholicisme avec son père et deux de ses frères en 1763. Il prend alors le nom de l’évêque de Ceneda, sa ville natale en Vénétie. Il fait de solides études au séminaire puis à l’université de Bologne. Après une jeunesse très « donjuanesque » et aventureuse, il s’installe à Vienne où il est nommé poète officiel des théâtres impériaux. II écrit de nombreux livrets pour Salieri, Martini et Mozart, auquel il doit sa renommée. Après la mort de l’Empereur Joseph II, il émigre à Trieste puis, après d’autres tribulations, en Angleterre, pour s’établir enfin aux Ėtats-Unis où il devient professeur d’italien tout en écrivant ses mémoires.

L’action se déroule à Séville, au XVIIème siècle.
Acte 1
Devant la maison du Commandeur
Leporello attend son maître. Don Giovanni, masqué, s’est introduit dans la maison pour séduire Donna Anna, la fille du Commandeur. Découvert, il surgit sur la scène, poursuivi par ce dernier. Dans un bref duel, Don Giovanni tue le Commandeur et s’enfuit.

À l’aube dans la rue
Don Giovanni se prépare à de nouvelles aventures amoureuses, lorsque arrive Donna Elvira, qu’il a autrefois séduite, épousée et abandonnée. Il préfère éviter cette rencontre gênante et laisse à Leporello le soin de révéler à la jeune femme la vraie nature de son caractère, cynique et débauché. La longue liste des amours de Don Giovanni que Leporello égrène comme un catalogue laisse Donna Elvira déconcertée.

Près d’une auberge
Don Giovanni surgit lors d’une noce villageoise. Il est attiré par la beauté de la fiancée, une jeune paysanne nommée Zerlina, et charge Leporello d’inviter la compagnie à une fête chez lui. Zerlina, flattée des attentions du gentilhomme, est prête à lui céder, lorsque Donna Elvira intervient pour la mettre en garde.

Don Ottavio et Donna Anna font ensuite irruption à la recherche de l’assassin du Commandeur. Ignorant la vérité, ils demandent à Don Giovanni de les aider à se venger. De son côté, Donna Elvira révèle ce que Leporello vient de lui apprendre. Don Giovanni, impassible, s’en tire en promettant aux premiers son appui, tandis qu’il accuse Donna Elvira de folie. Il continue à courtiser Zerlina, mais Donna Anna reconnaît soudain la voix de l’individu masqué qui a tué son père, et demande vengeance.

Un jardin, dans le palais de Don Giovanni
Zerlina est troublée : elle aime sincèrement Masetto, mais l’attrait, on dirait maintenant l’emprise, de Don Giovanni est irrésistible. Des individus masqués apparaissent dans le jardin. Ce sont Anna, Elvira et Ottavio, venus pour se venger. Don Giovanni, sans les reconnaître, les invite à la fête.

Dans la salle du bal chez Don Giovanni.
Le maître des lieux chante un hymne à la liberté.
« Venite pur avanti vezzose mascherette E aperto a tutti quanti. Viva la Libertà »
Venez aussi approchez charmants petits masques c’est ouvert pour tous, vive la liberté.
(Quelle étrange correspondance avec les revendications actuelles de notre société confinée.)
On commence à danser. Don Giovanni réussit à entraîner Zerlina, qui appelle à l’aide. Les masques se découvrent, accusent ouvertement Don Giovanni de tous les crimes, et lui promettent le châtiment du Ciel.

Acte 2
Devant la maison de Donna Elvira
Leporello est las de la vie que lui fait mener son maître. Pourtant, quelques monnaies sonnantes et trébuchantes le persuadent non seulement de rester à son service, mais encore d’endosser ses vêtements pour courtiser à sa place Donna Elvira, tandis que Don Giovanni, déguisé en Leporello, s’occupera de la femme de chambre. Ce déguisement donne lieu à deux scènes symétriques. Dans la première, Don Giovanni, se faisant passer pour Leporello, réussit à la fois à échapper à la vengeance de Masetto et à donner au malheureux paysan une volée de coups de bâton. Dans l’autre scène, Leporello, pris pour Don Giovanni, manque de perdre la vie : il échappe de justesse à la colère de Masetto, Zerlina, Donna Anna, Ottavio et Donna Elvira, tous décidés à se venger.

Un cimetière, avec la statue du Commandeur
Don Giovanni, de retour d’une nouvelle aventure galante, escalade le mur d’enceinte d’un cimetière pour échapper à ses poursuivants. De bonne humeur, il raconte à Leporello ce qui s’est passé. Mais une voix caverneuse résonne dans l’obscurité. Don Giovanni cherche en vain qui a parlé, et finit par se rendre compte que c’est la statue du Commandeur. Leporello est contraint par son maître à inviter la statue à dîner. L’invitation est acceptée.
Une brève scène d’amour entre Donna Anna et Don Ottavio détend un moment l’atmosphère troublante, avant la conclusion du drame.

Dans une salle du palais
Don Giovanni est à table. Le repas est servi, des musiciens jouent pour lui. Donna Elvira tente une dernière fois d’amener Don Giovanni au repentir, mais il se moque d’elle. Elle s’enfuit. On frappe à la porte : c’est la statue du Commandeur.

La comédie tourne au drame fantastique
Don Giovanni, sans hésiter, accède à la demande du Commandeur : il est prêt à l’accueillir et, en gage de sa bonne foi, lui tend la main. La statue s’en empare, et le froid de la mort saisit le gentilhomme, qui refuse encore de se repentir. Don Giovanni est englouti par les flammes de l’enfer.

Tous les personnages reviennent sur scène, et leur voix se mêlent pour donner la morale de l’histoire. Voilà la fin de celui qui fait le mal !

L’esthétique de l’œuvre
Les femmes, voilà tout ce qui compte pour Don Giovanni. Blondes, brunes, mariées, aristocrates, paysannes, jeunes ou vieilles… Leur multitude ne l’effraie pas, pas plus que les convenances et la morale. Séducteur prédateur, il est un pygmalion quand il s’agit de conquérir une nouvelle femme, habile à chanter à chacune le petit air adapté. La musique de Mozart ne cesse de le dire. Si pour séduire Zerlina, la paysanne, il entonne un pastiche de romance napolitaine la Ci darem la mano, pour Donna Elvira, la grande aristocrate, il se lance dans un registre grave et noble dans Ah taci, ingiusto cuore !

Mozart réalise, au sommet de sa gloire, la synthèse entre toutes les formes de l’opéra italien de son temps, élevant son esthétique au niveau d’une forme nouvelle qui ira s’épanouissant dans les siècles suivants.

(Je me souviens d’une discussion avec l’organiste Angelo Turriziani qui me disait non sans malice, « Dans la scène du CommandeurMozart s’inspire de Wagner !)

Analyse musicale de la scène du commandeur.
Donna Elvira son ex-épouse croit encore pouvoir sauver Don Giovanni. « Change de vie ! »’implore-t-elle.  Aussitôt, on entend des coups violents frappés à la porte.
Tout est balayé par l’immense bourrasque d’un accord de 7 ème mineure diminuée se résolvant sur l’accord de 7 ème de dominante de ré mineur.

Notons que cet accord qui ouvre une porte sur l’Au-delà, est encore plus mystérieux, par le silence qui l’entoure. On le retrouve avant le Lacrymosa du Requiem, où avant les épreuves de Tamino et de Pamina dans la Flûte enchantée.

Le battement noire pointée/croche, sorte de marche funèbre ou de glas haletant sur lequel retentit le Grand Appel, ajoute encore à cette liturgie des morts, « Don Giovanni ! », cadence parfaite, jamais aussi bien amenée qu’en cet instant où se concentre l’énergie de la terreur. « A cenar teco, m’invitasti », à dîner avec toi, tu m’invitas ! « E son venuto ! » et je suis venu.

Don Giovanni, quand même surpris par une telle visite, ne perd pas la face : « Je ne l’aurais pas cru mais je vais faire ce que je peux ». Et il reprend ce même motif pour ordonner à Leporello « un’altra cena fa che subito si porti ! » Vite, apporte un autre dîner !

Devant une telle désinvolture, la musique se comporte comme si elle se détournait la face pour pleurer, comme si le cœur de Mozart se mettait à saigner de désolation.

Ce n’est pas la première fois que, dans ce Drama giocoso, cet opéra buffa, Mozart laisse éclater sa douleur. Il suffit de se souvenir du sextuor du 2ème acte, et du chromatisme descendant sous les appels à la pitié de Donna Elvira.

Mozart pleure sur l’homme qui court à sa perte.
La terreur ne fait que commencer : « Ferma un po’ ! » Reste donc ici ! dans un rugissement de 7 ème mineure diminuée. Le récitatif du Commandeur utilise un langage quasi sériel pour affirmer : « Il ne se nourrit plus de choses terrestres celui qui goûte aux nourritures célestes ». Puis sur une tenue de dominante, comme pour un psaume liturgique, le Commandeur annonce que « d’autres soucis plus graves le ramènent ici-bas ».

Ce climat pétrifiant déstabilise complètement le pauvre Leporello. Il « grelotte » de fièvre avec des triolets qui ont l’air de tourner sur eux-mêmes

Et toujours en chromatisme ascendant, qui prend souvent chez Mozart l’expression d’une volonté farouche, le Commandeur se fait de plus en plus pressant et terrible ! « Rispondimi… Réponds-moi ! » sur le motif du défi : « Verrai-tu ? » viendras-tu dîner avec moi ?

Leporello, contrairement aux personnages de Don Giovanni et du Commandeur qui s’établissent à un niveau de violence aristocratique surhumaine, reste accessible à l’émotion toute simple, comme les personnages de la commedia dell’arte, lesquels font sourire ou rire pour ne pas avoir à en pleureur. « Oibo, oibo ! Tempo non ha, scusate », dites que vous n’avez pas le temps, excusez-vous ! dit-il en « hoquetant » à nouveau.

La réponse de Don Giovanni : « Jamais personne n’a eu à me traiter de lâche », est digne de la vertu « romaine » pour qui l’honneur et l’affirmation des principes constituent le sommet de l’humanité et du courage.

Mais la sentence du Commandeur tombe comme un couperet : « Ton temps est passé ! »

Don Giovanni lui tend la main. Il est désormais lié, cimenté par la main à la statue, dans une alliance glaciale, pétrifiée dans un défi éternel : « Ohimè ! Che gelo è questo mai ! »  Que cette main est glaciale ! La confusion s’installe dans la musique elle-même : tout devient assourdissant, avec un mélange des voix de basse et de baryton alourdi par le chœur des ombres. La gamme descendante en double croches, d’abord ballottée comme une feuille morte puis dévalant comme la lave d’un volcan, cette gamme charrie un cri épouvantable, le cri de Don Giovanni définitivement pétrifié, hurlement sinistre repris en écho par Leporello.

À l’épouvante se mêle la compassion pour cette destinée que Mozart a sans doute ressentie comme pouvant être la sienne.

Le sens de l’œuvre
Cet opéra est le reflet de la condition humaine s’inspirant du mythe éternel de Don Juan. Certaines parties sont franchement joyeuses voire libertines ; d’autres appellent à la réflexion. C’est la vie qui se déroule sous nos yeux à la fois comique et dramatique. Le tout présenté dans une forme accessible à tous.

Depuis sa création en 1787 à Prague à la veille de la Révolution française, Don Giovanni continue de nous interpeller, et nombreuses sont les mises en scène qui replacent l’action dans un contexte actuel. Car aujourd’hui comme hier, le personnage de Don Giovanni, ses aventures, ses passions et sa chute mettent fondamentalement en question nos idées modernes sur la destinée humaine et toute la partition est vibrante d’accents que l’on pourrait qualifier de pré révolutionnaires : révoltes du domestique, du paysan, de la femme et de l’aristocrate nihiliste. Don Juan le libertin puni n’a pas fini de faire parler de lui !

Avec l’épidémie et le retour des confinements sous toutes leurs formes, la liberté est souvent invoquée comme étant le moteur suprême de la vie pour tous les âges. Le cri de Don Juan au moment suprême est en fait un appel à la vie dans toute sa plénitude. L’appel que l’humanité lance avec la force de son énergie vitale.

Saurons-nous dans les circonstances actuelles si particulières, préserver cette force intérieure ?

Viva la Libertà ! E aperto a tutti quanti ! Vive la Liberté ! C’est ouvert à tout le monde.

Jean-François Principiano