La Gioconda de Ponchielli avec Opéravenir aux Chorégies d’Orange le 6 août 2022

L’association varoise Opéravenir Culture nouvelle propose une sortie organisée le 6 août pour découvrir un grand opéra d’Amilcare Ponchielli, la Gioconda dans une distribution internationale et une mise en scène de Jean Louis Grinda dans le Théâtre antique.

La Gioconda qui veut dire en italien la joyeuse (rien à voir avec le célèbre portrait de Leonard de Vinci) est une partition  lyrique écrite entre 1874 et 1875 et donnée pour la première fois triomphalement  à la Scala de Milan en avril 1876.

Amilcare Ponchielli  1834-1886 le maître de Puccini.

C’est un pur produit du  conservatoire de Milan, (fondé par Napoléon en 1803)  où Ponchielli  enseigna lui-même à la fin de sa vie.

D’origines modestes, son début de carrière fut difficile. Il dut accepter des petits boulots dans de petites villes. Il composa plusieurs opéras sans succès au début. Malgré ces déceptions, il acquit une grande expérience en tant que chef d’un orchestre d’harmonie (capobanda) à Plaisance et Crémone, arrangeant et composant plus de 200 œuvres pour orchestre d’harmonie.

Le tournant de sa carrière fut le grand succès de la version révisée de I promessi sposi  opéra d’après Manzoni en 1872, qui lui valut un contrat avec l’éditeur musical Giulio Ricordi et un poste musical à La Scala. Le rôle de Lucia dans la version révisée était chanté par la  jolie cantatrice Teresina Brambilla qu’il épousa en 1874. Leur fils Annibale deviendra critique musical et également compositeur.

Le ballet Le due gemelle (Les deux jumelles, 1873) confirma son succès. Mais c’est avec la flamboyante Gioconda que son nom est passé à la postérité. Sur un livret de Arrigo Boïto, lui-même compositeur d’un Mefistofele musicalement très riche, Ponchielli compose un drame inspiré par la pièce de Victor Hugo Angelo tyran de Padoue.

En 1881, il est nommé maître de chapelle à Bergame. Ses opéras, représentés avec beaucoup de succès en leur temps, se réclament de la tradition de Giuseppe Verdi. Grand fumeur, grand buveur, il meurt précocement à 51 ans, en pleine gloire, d’un infarctus du myocarde.

La Gioconda d’Arrigo Boïto

Arrigo Boïto

Le livret de Boïto reprend assez bien la tragédie historique de Victor Hugo qui fut donnée à Milan en 1835. C’est une sombre histoire romantique mêlant les  conflits de sentiments à la dénonciation politique et à l’anticléricalisme du poète français. « Le catholicisme ne sera sauvé que par l’abandon de ses deux péchés de jeunesse : l’intolérance et l’appui des puissants ! »

Venise XVII siècle.

Gioconda, une  jeune chanteuse des rues fort belle. Elle a 17 ans  et  est amoureuse du marin Enzo Grimaldi qui est en fait un jeune génois de noble famille exilé. Il vit sur un bateau, un brigantino et se livre a de multiples trafics maritimes. Il est beau et séduisant. A Venise sur le Grand Canal c’est un peu la vedette, le joli cœur, il cicio bello !

Il a rencontré la charmante Laura, jeune épouse d’Alvise Badoero, un membre  des dix, le gouvernement  de la République de Venise (personnage historique) qui est chargé  du  maintien de l’ordre  dans  la lagune. Il est assisté dans sa tâche par un indicateur le sinistre Barnaba, lui-même follement  épris de la jeune Gioconda…

Au début de l’opéra on assite à des Régates sur le Grand canal. C’est jour de fête. La Gioconda accompagnée de sa mère une vieille aveugle, est  harcelée par Barnaba. Laura  s’interpose lorsque Barnaba excite la foule contre la vieille dame qui aurait jeté un sort sur le perdant de la course. En  signe de reconnaissance la  Cieca  lui donne  son rosaire, un collier à prière qui doit lui porter bonheur.

Plus tard Barnaba a compris que la Gioconda et Laura sont rivales et qu’elles aiment toutes les deux le bel Enzo.

Lors d’une rencontre nocturne entre Laura et Enzo, Alvise, le mari  surprend les deux amoureux. Fou de douleur Alvise veut se venger de sa femme infidèle. Au cours d’une fête Alvise force Laura  à boire un poison. Mais la Gioconda subtilise le verre empoisonné et le remplace par un  puissant somnifère. Tout le monde croit Laura morte  empoisonnée par la Gioconda.

Lors du dernier acte Enzo chante son désespoir. Laura est morte, il croit même que c’est la Gioconda qui l’a empoisonné. Cette dernière lui dévoile alors la vérité. Un beau trio permet à Ponchielli et Boïto de s’épancher dans une sorte de prière  à trois  voix remerciant la générosité de la jeune fille qui a favorisé l’amour des deux amants et s’apprête à leur permettre de fuir sur un  navire pour l’Illyrie voisine.

Après leur départ Barnaba apparait et réclame l’exécution de la promesse de la Gioconda de se donner à lui pour sauver sa mère. Elle se suicide au dernier moment. Il a juste le temps de lui dire qu’il a déjà fait exécuter la pauvre aveugle. L’œuvre s’achève dans un final soulignant l’opposition entre le Mal absolu de Barnaba et la  noble générosité de la jeune fille des rues. Merci Victor Hugo !

La musique de Ponchielli entre le dernier Verdi et le premier Puccini

Ponchielli utilise un orchestre imposant de plus de 80 musiciens auquel s’adjoint un chœur de 120 choristes et un corps de ballet au complet. L’esthétique musicale  est postromantique, sur un livret qui tire un peu vers la grandiloquence rhétorique.

De nombreux chœurs, deux ballets en situation dont la  fameuse danse des heures.

Ponchielli exige une déclamation lyrique  pré-vériste (éclats de voix, rinforzando, registre parlé ou murmuré, hurlements de douleurs, deux arias difficiles pour soprano et un grand air pour ténor redouté des interprètes par sa tessiture très tendue). Il faut des voix puissantes, capables de rivaliser avec un orchestre wagnérien monumental.

Tous les registres vocaux sont convoqués : ténor di grazia, ténor lirico-spinto, mezzo-soprano, soprano dramatique, baryton verdien, baryton – martin, basse-profonde, basse-bouffe, chœurs d’enfants…Souvent le cast est distribué à des chanteurs à coffre, alors  que la Gioconda n’a que 17 ans dans la tragédie, Enzo 22 ans et Laura à peine 28 ans …

Ecriture musicale très soignée

L’écriture musicale est raffinée avec de nombreux effets timbriques novateurs. Ponchielli était un grand professeur d’harmonie, de contrepoint ainsi qu’un solide orchestrateur. C’est lui qui a formé Puccini lequel avait une véritable  vénération pour son maître. On remarquera l’utilisation des harpes, du triangle, du piccolo. Les cordes sont toujours sollicitées avec autorité notamment pour doubler les voix, ce qui accentue le lyrisme brûlant des fins de scènes. Les timbales sont omni présentes dans les ensembles. Ponchielli écrit très bien pour le chœur qui est ici  en cinq parties contrairement au Verdi de la même époque. Quant à la Danse des heures (video) c’est un moment d’une rare fraicheur d’inspiration servie par une maîtrise de l’orchestre rarement atteinte dans l’univers lyrique du XIX° siècle.

Enfin, au cours des 4 actes le compositeur, fidèle à l’esprit de la tragédie hugolienne, recherche les effets de  contraste et surtout il a bien écouté Wagner et sa révolution, utilisant judieusement, on pourrait dire à l’italienne, la technique des leitmotivs, chaque sentiment, chaque symbole se reconnaît par une petite phrase musicale identitaire que Ponchielli entremêle avec art : l’amour, la mort, la passion, la vengeance, la compassion, le rosaire, la mer, l’espoir, la trahison, la Croix, le pardon, le sacrifice, la liberté,  la rédemption …

Peut être l’œuvre est-elle un peu longue (plus de trois heures) et  sur un livret très littéraire qui suit trop fidèlement à la lettre les idéaux romantiques de Victor Hugo ?  On sait que son théâtre, tel quel, n’est plus très compatible avec les priorités des publics de notre époque.

La Version des Chorégies d’Orange.

En revanche la Gioconda est idéale pour des lieux comme Orange, Vérone ou Macerata. Il s’agit d’une coproduction de l’Opéra de Nice et de Monte Carlo qui a été adaptée à la monumentalité du lieu. Jean Louis Grinda  et  Laurent Castaing ont été loués à l’Opéra de Marseille pour leur travail scénique déjà vu et commenté. S’ajoute aussi des projections vidéo d’Etienne Guiol et Armand Pottier dont on avait déjà apprécié le travail, qui soulignent avec bonheur les moments d’éclats attendus de la partition : Cielo e Mar ! O monumento !  Suicidio ! Le mur est respecté et magnifié.

Distribution internationale

Gioconda Csilla Boros ; Laura Clémentine Margaine ; La Cieca Marianne Cornetti ; Enzo  Stefano La Colla ; Barnaba Claudio Sgura ; Alvise  Alexandre  Vinogradov ; Barnabotto Servan  Vasile. Choeurs  d’Avignon, Monte Carlo et Toulouse.

Orchestre Philharmonique de Nice sous la direction de  Daniele Callegari ; chorégraphie Marc Ribaud ; Vidéos Etienne Guiol et Arnaud Pottier.

Mise en scène Jean Louis Grinda.

Le sens de l’œuvre

Avant tout  disons que Boïto et Ponchielli, créateurs à l’esprit progressiste (ils étaient tous les deux Francs-Maçons et appartenaient  au mouvement dit de la Scapigliatura) ont voulu créer un grand opéra populaire basé sur l’amour, le sens du sacrifice et la noblesse des gens du peuple. Cette intention est confirmée par une lettre à leur éditeur Ricordi lors du remaniement final en 1876. (Un an après Carmen !)

Ils ont, en ce sens donné à l’Histoire de la musique, peut être pas un chef d’œuvre absolu mais un témoignage émouvant de l’espérance en l’humain hors de tout contexte social ou d’éducation. Une jeune fille pauvre se sacrifie par amour et par compassion envers  deux êtres qu’elle sauvera d’une situation d’injustice. La seule noblesse est celle du cœur !

La Gioconda est une jeune sauvageonne  émancipée qui raisonne avec passion et qui va jusqu’au sacrifice suprême avec une grandeur d’âme émouvante. En somme cet opéra fondamentalement italien a quelque chose du néo-réalisme cinématographique avant l’heure, démontrant l’abnégation des engagements chez les gens du petit peuple des rues au moment ou l’industrialisation de l’Europe occidentale accentuait davantage encore  les inégalités et l’oppression sociale.

Paradoxalement et c’est tant mieux, la bourgeoisie milanaise a accueilli l’œuvre avec joie et reconnaissance car derrière la dénonciation hugolienne il y a la perception du fond chrétien de notre civilisation. Le collier sous forme de rosaire qu’offre la pauvre aveugle  à la belle Laura, sur le leitmotiv de l’amour symbolise aussi la compassion et le pardon. Ce thème bien perceptible parcourt toute la partition comme une petite voix qui nous murmure à l’oreille de ne jamais désespérer.

Jean François Principiano

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