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IV. Philosophie et anthropologie III. PRÉCISIONS POUR UNE DÉFINITION DE LA PHILOSOPHIE
En fait, la définition de la philosophie dépend de la philosophie de celui qui définit. Ainsi par exemple, si l'on est d'accord avec l'indépendance que les sciences modernes ont prise par rapport à la philosophie (cf. la section précédente), alors on doit interpréter les quatre concepts de la première définition d'une autre façon que les Anciens. Dans le cadre de ce début de cours, il est exclu de s'étendre longuement mais il est possible d'indiquer anticipativement une conception préférentielle de la philosophie, conception qui en préciserait tout à la fois l'utilité et les limites. On peut citer à ce propos trois auteurs, dont nous aurons à reparler. Précédemment, Emmanuel Kant avait déjà montré les limites et le sens positif de la philosophie lorsqu'il la définissait, à la fin de la Critique de la raison pure (1781) comme "la science du rapport qu'a toute connaissance aux fins essentielles de l'humaine raison". En lisant de près, on voit bien qu'il s'agit d'une science qui n'est pas une connaissance objective et qu'il ne s'agit pas non plus pour elle d'établir quelles sont les fins essentielles de l'homme. Il n'est donc pas nécessaire d'être philosophe pour augmenter ses connaissance et pour savoir ce qui est essentiel dans la vie. Lorsqu'en outre l'auteur déclare, à la même page, que l'entreprise philosophique "intéresse chacun", il en affirme simultanément l'utilité. Afin de comprendre ce double aspect, considérons par exemple la philosophie morale de Kant (dont nous reparlerons). Il ne s'agit nullement, pour Kant, d'inventer et de démontrer quelque principe moral fondamental. Il ne peut s'agit que de trouver une formulation cohérente pour un principe que l'on peut supposer présent dans la conscience de tout homme (même chez le "pire scélérat") et de voir s'il peut être défendu contre les prétentions totalisantes d'une certaine culture ambiante (scientifique et même philosophique) qui penche plutôt vers le relativisme et le déterminisme (a force d'expliquer scientifiquement les comportements humains, on est tenté de nier la possibilité pour l'homme de prendre ses responsabilité dans une vie éthique). Plus près de nous, Jürgen Habermas (né en 1929) procède de manière analogue dans son étude des différentes formes de la rationalité consignée dans son ouvrage Théorie de l'agir communicationnel (1981). Il est impossible, remarque cet auteur, pour un acteur social, de développer une activité rationnelle uniquement instrumentale ou stratégique, orientée simplement vers le succès de ce qu'il entreprend. Notre existence sociale repose constamment sur une rationalité communicationnelle orientée elle vers l'intercompréhension. Celle-ci implique la discussion, l'échange d'arguments. Or la discussion implique l'acceptation, même contrefactuelle, du principe d'une "éthique" de la discussion, principe qui nous oblige à faire prévaloir une situation idéale de parole, dépourvue de contrainte et d'exclusion. La tâche de la philosophie n'est certes pas d'établir la valeur d'un tel principe puisqu'il est déjà présupposé comme condition de notre socialité, mais de le formuler et de faire apparaître, par exemple, les contradictions que commettent les sceptiques lorsqu'ils argumentent contre lui. Les trois références ci-dessus s'inscrivent dans une ligne d'inspiration socratique. Socrate convaincrait d'ignorance les experts qui dépassaient leur compétence propre et il ajoutait : je ne sais pas plus qu'eux, mais je sais que je ne sais pas. Il avait raison mais l'ironie négative n'est pas le tout de la philosophie. Celle-ci s'engage en outre, sans pour autant dépasser ses limites, dans un travail d'argumentation systématique afin de montrer pourquoi certaines questions doivent rester ouvertes et pourquoi ces ouvertures, loin d'êtres lacunes sans importance, sont la possibilité même de la liberté, du sens, de la communication et du respect moral. Ce travail paraît particulièrement important dans le contexte de ce qu'on appelle la modernité . L'objectivisme scientifique l'arraisonnement instrumental de la nature et de l'homme lui-même, la gestion technocratique de la vie politique, la colonisation du vécu par la rationalité marchande et l'abdication devant les prétendues lois de l'économie, tout cela empêche la venue au jour de la question du sens de nos entreprises utilitaires et empêche le libre dépassement de la culture établie. Toutefois, ici encore, il faut répéter la limite du rôle de la philosophie. Elle est l'amie de la sagesse, non sa détentrice. Il n'est pas indispensable de pratiquer la philosophie pour donner valablement du sens à l'existence. Simplement, il est indispensable d'en faire si l'on veut résoudre les problèmes théoriques que soulèvent les prétentions totalisantes de la culture constituée (en ce compris la culture philosophique elle-même). IV. PHILOSOPHIE ET ANTHROPOLOGIE 1. La philosophie comporte diverses branches ou secteurs : la logique (théorie du raisonnement), l'épistémologie (théorie de la connaissance en général), l'ontologie (théorie de "l'être en tant qu'être"), la cosmologie (théorie de la nature), la métaphysique (théorie de l'être au sens le plus élevé et non seulement physique du terme), l'éthique (théorie de ce qui doit être par notre action), anthropologie (théorie de l'être humain) ainsi que divers secteurs particuliers qui sont la philosophie sociale, politique, du droit, de l'art, de la religion, du travail, du langage, etc. Il faut cependant souligner que la philosophie est unitaire : quel que soit le secteur où l'on s'applique, on peut être à tout moment renvoyé à un autre. On a vu que Platon effectuait des aller et retours entre l'épistémologie, la métaphysique et la morale. Il y a peu, Martin Heidegger (1889-1976) pratiquait à la fois l'anthropologie et l'ontologie fondamentale, estimant que si l'on veut réfléchir sur le mystère de l'être en général (l'être des étants) il faut d'abord étudier l'étant qui a en propre de se poser la question de l'être. Tous ceux que l'on appelle les grands philosophes ont soutenu des thèses dont ils ont montré les conséquences cohérentes dans la plupart des secteurs de la philosophie. C'est pourquoi on parle souvent de "systèmes" philosophiques. 2. Il est donc possible et normal de faire de la philosophie unitaire, tout en cultivant un secteur particulier. Ceci permet de comprendre l'intitulé : "introduction à la philosophie en ce compris l'anthropologie" sans introduire de différence spatiale entre l'anthropologie et le reste de la philosophie. En ce cas, nous nous introduisons à toute la philosophie dès lors que nous réfléchissons philosophiquement sur la réalité humaine. 3. Quant au terme même d'anthropologie, il faut savoir qu'il a un sens courant qui n'est pas celui qui nous occupe. Dans les milieux sociologiques, on appelle souvent anthropologue quelqu'un qui étudie des sociétés éloignées des nôtres, géographiquement peu étendues et relativement isolées. (l'emploi d'un mot contenant une racine signifiant l'homme s'explique sans doute par la supposition que le dépaysement du chercheur lui permet de mieux voir apparaître ce qui fait l'essentiel de la vie humaine). Ce genre de recherche se nomme aussi ethnologie.
5. L'objectif visé par la première partie du cours est, outre de décrire les aspects fondamentaux de la réalité humaine (sujet incarné, en relation avec autrui, lié à un contexte socio-historique), de comprendre, à propos de chacun des aspects considérés, certaines tensions constitutives de leur caractère proprement humain. Ces tensions correspondent à trois couples conceptuels. - On peut exprimer le propre de l'être humain en se référant à l'expression heideggerienne "dasein". Cette expression évoque un mode de "présence" qui dépasse celui que nous reconnaissons aux choses. Nous sommes là, certes, mais autrement qu'une chaise à côté d'autres meubles (pensons à tel acteur dont nous disons volontiers qu'il "a de la présence"). Notre présence n est pas qu un simple fait (facticité), elle est aussi intentionnelle et signifiante (transcendance). Le couple facticité-transcendance doit donc être pensé ensemble lorsqu'on veut parler de présence humaine. - Si l'on dit que le sujet humain est intentionnel (tel est ici le sens de sa "transcendance"), il faut ajouter que cette intentionnalité est, d'une part, ordinairement vécue de façon spontanée et, d'autre part, capable de réflexion c'est-à-dire de prise de distance par rapport soi-même (savoir ce qu'on fait et pourquoi on le fait). Le problème est ici de comprendre le couple immédiateté-réflexion. - Parmi les intentionnalités réflexives de la conscience figure l'attitude scientifique et, plus particulièrement, celle qui est à l'origine des sciences humaines. Les sciences, c'est leur rôle, montrent les conditionnements auxquels nous sommes soumis. On montrera, par exemple, comment la société fonctionne à travers nous indépendamment de notre volonté. Le structuralisme a récemment donné de nouvelles formes au déterminisme. Des expressions comme "ça parle en nous" ou "d'où parles-tu?" sont révélatrices. Le problème sera alors de comprendre le rapport déterminisme-liberté.
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