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II. La
définition introspective III. La critique au nom de l'expérience IV. Le
renvoi à la dialectique V. Le
renvoi à l'existence
On entend par nature d'une chose son essence, c'est-à-dire ce qui en elle fait qu'elle appartient à une espèce et pas à une autre. Ainsi la nature de l'homme est ce qui fait qu'il appartient à l'espèce humaine. Une nature, ou essence, renferme un ensemble de caractères stables, universels et suffisamment distinctifs (N.B. le mot "nature" peut avoir d'autres sens : il peut désigner chez un individu ce qui est inné et ne résulte pas d'une acquisition ultérieure, ou encore l'ensemble ordonné des choses observables dans le monde). La nature est ce qui peut correspondre à une définition. Une définition est oeuvre de l'intelligence en tant que celle-ci élabore des concepts ou notions. On appelle concept le sens intelligible d'un mot. On va rapidement s'apercevoir que la question initiale de la nature et de la définition de l'homme soulève de nombreuses difficultés et qu'elle va nous forcer d'aborder déjà les questions principales dont traite l'anthropologie. Cette situation est analogue à celle que nous avons décrite pour la philosophie en général : la définir, c'est déjà en faire. Le présent chapitre ne sera pas la solution d'un préalable mais un premier développement des problèmes qu'aborde l'anthropologie. Ce premier développement prendra la forme d'un examen des réponses argumentées qui furent apportées par la tradition philosophique à la question de la nature humaine. On se limitera aux principaux types d'approche, que l'on peut schématiser comme suit : l'affirmation d'une définition (I et II), sa mise en suspens (III) et, dans une certaine mesure, la déclaration de son impossibilité (IV et V). La nature humaine est, disait déjà Aristote, d'être un animal raisonnable. Cette définition courante procède d'une méthode comparative qui est assez spontanément utilisée et que l'on retrouve à certains égards aujourd'hui dans les sciences de l'évolution lorsqu'il est question de l'hominisation. 1. Rappel de la méthode aristotélicienne Pour Aristote, à la différence de Platon, l'essence, appelée forme, n'existe pas à part des êtres individuels sensibles (du moins en ce qui concerne notre monde "sublunaire"). Elle doit être discernée dans les substances sensibles (qui , en tant que substances, existent par elles-mêmes) et dégagée au moyen d'une opération intellectuelle appelée abstraction. 2. Définition aristotélicienne de l'homme L'espèce homme appartient genre vivant et, à ce titre, a une âme (psychè, anima) puisqu'il est "animé". Aristote voit en l'âme la différence spécifique qui caractérise, parmi les êtres naturels, ce qui est capable de se mouvoir par soi, de se nourrir, de croître et de décliner. Pour tout vivant, l'âme est forme du corps, et celui-ci matière de l'âme. Le vivant constitue donc une unité puisque l'âme est un co-principe sans existence séparée (cf. l'hylémorphisme). Les vivants peuvent être classés hiérarchiquement en fonction des types d'âmes qui les "informent". Les plantes ont une âme simplement nutritive ou "végétative". Les animaux ont une âme non seulement végétative, mais aussi sensitive. Les hommes se distinguent des autres animaux par le fait que leur âme est non seulement végétative et sensitive, mais aussi rationnelle (une psychè qui est aussi un noûs). Ces trois âmes ne sont pas juxtaposées en l'homme mais sont ordonnées sous la fonction spécifiquement humaine. Ainsi fut obtenue la définition, devenue courante, de l'homme comme animal raisonnable. Dans cette définition, c'est l'animal qui constitue le genre prochain et la rationalité (non l'âme) qui fait la différence spécifique. Cette rationalité (que renferme le terme "noüs") signifie pour Aristote la capacité de dégager et d'apercevoir les formes intelligibles, de juger et de parler, de raisonner, de conduire son action par des choix délibérés, de prendre part à la vie sociale et politique. Les êtres ayant pour entéléchie la perfection de leur forme ("le bien est ce vers quoi toute chose tend"), l'exercice des fonctions supérieures qui ordonnent l'âme humaine constitue le bien spécifique de l'homme. La morale aristotélicienne n'est pas le respect d'une loi a priori, mais l'accomplissement (perfection) de la nature humaine connue par observation, comparaison et abstraction. 3. Commentaires a. Sur l'hylémorphisme La théorie est unitariste et non dualiste. Elle permet donc en principe de comprendre les phénomènes humains à la fois corporels et psychiques (comme le sont déjà une simple perception ou un simple mouvement volontaire). Lorsqu'elle fut reprise par Saint Thomas d'Aquin, au XIIIe siècle, elle fut intégrée, mais modifiée. L'anthropologie chrétienne souligne forcément des notions comme la liberté, la responsabilité et l'âme en raison de l'appel de l'homme à un lien intime, personnel et permanent avec Dieu. La question de l'immortalité de l'âme raisonnable devient cruciale si l'homme a une destinée éternelle. Pour Saint Thomas, l'âme demeure certes forme du corps mais elle a elle-même en outre le statut de substance. Ce philosophe estime que, même sans référence théologique, on peut affirmer que notre esprit a des activités et des préoccupations indépendantes de la vie corporelle et qu'il n'est donc pas uniquement le complément naturel du corps. Les parents engendrent le corps avec les fonctions animales qui l'informent, mais Dieu crée directement en chaque être humain une âme raisonnable par une pensée créatrice singulière. b. Sur la méthode comparative
Indépendamment de la paléontologie, on souligne d'autres critères comme le rire, le langage, le tabou de l'inceste, la conscience de la mort, etc... Ces critères sont moins aisément repérables à l'observation que les précédents, mais les uns comme les autres peuvent être spécifiques comme le fut la raison chez Aristote. Mais on peut se demander, comme le fait A. De Waelhens dans l'article Homme de l'Encyclopedia Universalis s'il suffit, pour situer l'homme, de le placer simplement à la tête de la lignée des mammifères supérieurs en lui accordant cette primauté parce qu'il se trouve doté d'un caractère qui le distingue de tous les autres membres de cette lignée, proches et lointains, fût-ce un caractère prestigieux comme le langage. Il importe peu que cette différence spécifique soit conçue comme la résultante finale d'une évolution douce ou qu'elle soit apparue par quelque mutation soudaine : l'homme, dans l'un et l'autre cas se limite à un être qui demeure en parfaite continuité avec la nature. Une autre conception admet et souligne une faille radicale, sans commune mesure, entre l'être de l'animal et celui de l'homme, en sorte que, chez ce dernier, même le biologique ou les traits particuliers en sont transformés. Il y a, dès lors, subversion complète chez l'homme de toute différence spécifique appartenant à l'ordre de la nature objective. Dans cette dernière
perspective, le propre de l'homme serait plutôt qu'il se pose le problème
de ce qui constitue sa différence spécifique (cf. la remarque clôturant
le chap. I). Il est alors l'être qui crée du sens et détermine
la différence qui, pour lui, importe, c'est-à-dire a de la valeur.
On peut d'ailleurs remarquer que les définitions sont toujours sous-tendues
par un vouloir-être et une position de valeur qui sont d'un autre ordre
que celui du simple constat. Une définition apparemment objective de
l'homme répond en réalité à un projet (section V). Dire que l'essentiel
de l'homme est l'opposabilité du pouce et l'emploi ou la fabrication
de l'outil implique un projet technique. Dire que c'est le savoir raisonnable
implique du projet intellectualiste, etc... Ces projets ont des dimensions
politiques et sociales. Aristote, membre d'une société élitiste où la
production des moyens matériels d'existence était l'affaire des esclaves,
voyait l'essentiel dans la science contemplative et dans la discussion
politique. Bref, l'homme diffère du chimpanzé moins par telle ou telle caractéristique ou aptitude objective que par le fait que, à la différence du chimpanzé, il se demande et recherche si et par quoi l'homme diffère du chimpanzé. On peut dire que cette question et cette recherche se traduit dans tout son comportement.
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