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CHAPITRE II
b
LA NATURE HUMAINE
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II. La
définition introspective
1. La méthode cartésienne
2. Définition cartésienne de l'homme
3. Commentaires
II.
LA DEFINITION INTROSPECTIVE

Pour Descartes, l'homme est une
âme (chose pensante) unie à un corps. Cette définition
dualiste était déjà celle de Platon, encore que celui-ci considérait
les corps sensibles comme de simples reflets des idées seules
subsistantes. La méthode qui aboutit à cette définition n'est
plus de comparer l'homme et les autres vivants,
mais de décrire la vie intérieure du sujet et les idées que comporte
sa seule pensée. La nature de l'homme se découvre par la simple
pratique du "connais-toi to-même"
de Socrate.
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1. La
Méthode cartésienne
Descartes recherche
un fondement inébranlable pour assurer nos connaissances. Ce ne
peut être l'expérience car nos sens nous trompent parfois et cela
rend douteuse cette source de connaissance. Descartes s'en remet
alors à la pensée, non à celle qui abstrait des concepts à partir
de l'observation des données sensibles, mais à celle qui serait
capable d'intuitionner directement une réalité (le mot intuition
renvoie au mot latin intueri, voir, ce qui évoque une
relation immédiate, c'est-à-dire, étymologiquement toujours, sans
intermédiaire). Il s'apparente ainsi aux philosophes qui soutiennent
la possibilité d'une intuition intellectuelle, c'est-à-dire
la possibilité de connaître une réalité par la pensée seule.
(Platon, par exemple, se détournait des données sensibles pour
mieux contempler les idées subsistantes. Un autre exemple célèbre
est la preuve de l'existence de Dieu dite "argument ontologique"
inauguré par Saint Anselme, au XIe s. : j'ai l'idée d'un être
parfait, donc il existe parce que sinon ce ne serait pas un être
parfait que j'aurais pensé). Pour Descartes, une intuition intellectuelle
a lieu dans le cas de la réflexion car là, la
pensée s'intuitionne elle-même.
La démarche
cartésienne est bien expliquée au fil des six Méditations
métaphysiques qu'il a fait paraître en 1641.
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TABLE DES MATIÈRES
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PREMIÈRE MÉDITATION:
Des choses que l'on peut révoquer en doute
MÉDITATION SECONDE:
De la nature de l'esprit humain, et qu'il est plus aisé à connaître
que le corps
MÉDITATION TROISIÈME:
De Dieu; qu'il existe
MÉDITATION QUATRIÈME:
Du vrai et du faux
MÉDITATION CINQUIÈME:
De l'essence des choses matérielles: et, derechef, de Dieu; qu'il
existe
MÉDITATION SIXIÈME:
De l'existence des choses matérielles, et de la réelle distinction
qui est entre l'âme et le corps de l'homme
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1
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DOUTE
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Je
puis douter de tout (des données des sens et même, dans l'hypothèse
d'un malin génie qui me séduirait, des évidences rationnelles
comme celles de la géométrie ou de l'arithmétique.
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2
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COGITO
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Il
y a une exception : "je suis, j'existe" en tant qu'une
"chose qui pense", car cela (et cela seul) m'est évident
déjà dans le seul fait que je doute. Cette évidence est claire
et distincte. Quant à savoir si les vérités mathématiques ne sont
pas l'effet d'un malin génie trompeur et si la pensée que
je vois, la pensée que j'entends, la pensée que
j'ai un corps, ont un corrélat réel, je ne puis en être assuré
- dans la mesure où j'ai là des idées aussi "claires et distinctes"
que celle qui vient d'être établie - qu'à la condition d'avoir
une preuve de l'existence de Dieu en tant qu'être infini, parfait
et ne pouvant donc pas me tromper ("vérace").
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3
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DIEU
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Cette preuve,
Descartes l'obtient par un argument de causalité appliqué
à l'idée, qu'il trouve en lui, d'un être parfait (ce
n'est donc pas ici l'argument ontologique) : moi qui suis fini
et imparfait (puisque je doute) je ne puis que l'avoir reçue d'un
être infini et parfait.
Un tel être,
qui existe, ne garantit certes pas mes idées confuses, mais il
ne peut me tromper lorsque j'ai de quelque chose une idée claire
et distincte.
La méthode cartésienne
est donc de soumettre la connaissance au critère a priori de l'idée
claire et distincte. ceci n'est autre que le projet d'une "mathesis
universalis", c'est-à-dire d'une méthode a priori pour
trouver la vérité dans les sciences en général. C'est dans ce
sens qu'il faut comprendre le titre du Discours de la méthode
de 1637.
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4
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ERREUR
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La
quatrième méditation est une digression sur le thème de l'erreur
: celle-ci survient lorsque la volonté (d'affirmer ou de nier)
dépasse ce que l'entendement a clairement compris.
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5
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ETENDUE
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La
cinquième des six méditations pose ce qui constitue l'idée claire
et distincte de l'essence des choses matérielles : l'étendue et
ses modes (géométrie). C'est en effet son caractère "partes
extra partes" qui distingue la res extensa de la res cogitans
(la pensée, à proprement parler, n a pas de parties). On peut
donc avoir une connaissance certaine (vu la véracité divine) des
propriétés mathématiques de l'étendue en général. Mais ceci ne
nous dit encore rien de l'existence des choses étendues.
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6
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EXISTENCE DES CHOSES MATÉRIELLES
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Quant à l'existence
hors de nous de choses corporelles correspondant à leurs idées,
la sixième méditation nous en rassure par ce que, Dieu m'ayant
donné "une très grande inclination à croire qu'elles me sont
envoyées ou qu'elles partent des choses corporelles, je ne vois
pas comment on pourrait l'excuser de tromperie si, en effet, ces
idées partaient ou étaient introduites par d'autres causes que
par des choses corporelles".
Mais Descartes
ajoute aussitôt : "toutefois elles ne sont peut-être pas
entièrement telles que nous les apercevons par les sens, car cette
perception des sens est fort obscure et confuse en plusieurs choses
: mais au moins faut-il avouer que toutes les choses que j'y conçois
clairement et distinctement, c'est-à-dire toutes les choses généralement
parlant qui sont comprises dans l'objet de la Géométrie spéculative,
s'y retrouvent véritablement". Descartes récupère donc, mais
de façon sélective, l'objet de la certitude sensible.
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En conclusion, nous
pouvons voir en quel sens Descartes a pu être déclaré "le"
philosophe de la subjectivité. Ce primat de la subjectivité se trouve
paradoxalement en accord avec l'évolution moderne de la science
expérimentale. Celle-ci "arraisonne". Elle soumet toute
expérience aux exigences a priori de l'esprit (la mathématique notamment).
Elle structure ainsi d'avance ce qu'elle tient pour objectif. L'utilisation
de cette méthode se révéla extrêmement féconde dans les science empiriques,
sciences de la nature d abord, sciences humaines ensuite (ce qui soulèvera
des problèmes considérables qui seront examinés dans
les chapitres suivants).
2. Définition
cartésienne de l'homme
Pour Descartes, l'intuition
intellectuelle réflexive donne l'évidence d'une réalité pensante autonome, une res cogitans. Celle-ci
n'est pas une âme au sens aristotélicien, qui serait principe de vie
pour un corps dont elle serait la forme inséparable. Descartes récuse
d'ailleurs explicitement la méthode aristotélicienne avec ses interminables
comparaisons : "qu'est-ce qu'un homme? Dirais-je que c'est un animal
raisonnable? Non certes, car il faudrait par après rechercher ce qu'est
un animal, et ce que c'est que raisonnable, et ainsi d'une seule question
nous tomberions insensiblement en une infinité d'autres plus difficiles
et embarrassées, et je ne voudrais pas abuser du peu de temps et de
loisirs qui me reste en l'employant à démêler de semblables subtilité"
(deuxième méditation).
Or il se fait que
je pense que je vois, entends, m'échauffe; bref, je pense que
j'ai un corps. L'évidence du cogito englobe ces pensées mais elle ne
porte pas sur l'objet de ces pensées. La deuxième des Méditations
s'intitule pour cette raison "De la nature de l'esprit humain,
et qu'il est plus aisé à connaître que le corps".
La certitude d'avoir
un corps dépend, quant à elle, des deux conditions générales
de la méthode : la véracité divine et l'idée claire et distincte. Dieu
ne peut me tromper dans le sentiment que j'ai d'avoir un corps pour
autant que je puisse avoir de celui-ci une idée
claire et distincte. Or, l'essence intelligible des choses corporelles
est l'idée d'étendue et de ses modes. Ainsi ma certitude du corps est-elle
intellectuelle (j'y viens par un raisonnement) indirecte (j'y viens
pas la véracité divine) et réduite à son étendue. Il résulte de ce dernier
point que le corps est absolument hétérogène à l'âme. L'extériorité
des parties entre elles est ce qui distingue radicalement la chose étendue
de la chose pensante. Il y a dualité en l'homme de la
res cogitans et de la res extensa, bien que celles-ci
soient unies entre elles par le sentiment pratique qui lie la pure pensée
à son milieu corporel.
3. Commentaires
a. Sur le
dualisme
La théorie dualiste
permet de penser que je ne suis pas seulement mon corps et que donc
ma pensée dépasse celui-ci. Elle permet, en outre, de concevoir une
destinée éternelle de la substance pensante par delà la corruption du
corps.
D'autre part, elle
échoue à rendre compte des rapports vécus entre l'esprit et le corps.
Descartes le reconnaissait lui-même :
"Ainsi l'entendement, la volonté et toutes les
façons de connaître et de vouloir, appartiennent à la substance qui
pense; la grandeur, ou l'étendue en longueur, largeur et profondeur,
la figure, le mouvement, la situation des parties et la disposition
qu'elles ont d'être divisées, et telles autres propriétés, se rapportent
au corps. Il y a encore, outre cela, certaines choses que nous expérimentons
en nous-mêmes, qui ne doivent pas être attribuées à l'âme seule, ni
aussi au corps seul, mais à l'étroite union qui est entre eux ainsi
que je l'expliquerai ci-après : tels sont les appétits de boire, de
manger, et les émotions ou les passions à la colère, à la joie, à la
tristesse, à l'amour, etc...; tels sont tous les sentiments, comme la
lumière, les couleurs, les sons, les odeurs, le goût, la chaleur, la
dureté, et toutes les autres qualités qui tombent sous le sens de l'attouchement"
(Les principes de la philosophie, I, § 48).
Descartes situe l'union
de l'âme et du corps dans la "glande pinéale", mais ce n'est
pas une solution parce que cela laisse entier le mystère de l'interaction
de deux principes hétérogènes.
Un autre rationaliste,
Leibniz (Allemagne, 1646 - 1716), contournera le problème
de l'interaction : la concordance des modifications de l'esprit
et de celles du corps vient de ce que Dieu a préalablement réglé l'un
et l'autre de manière à ce que leurs histoires s'accordent, comme dans
le cas de deux horloges qui marqueraient la même heure par une "harmonie
préétablie". Remarquons que, dans ces conditions, il devient difficile
de prendre la manifestation des choses comme fondement de quelque savoir
que ce soit. De plus, notre esprit serait déterminé par
la programmation divine et donc dépourvu de liberté.
Un autre rationaliste,
Spinoza (Hollande, 1632 - 1677) avait quant à lui,
évité le problème de l'interaction en évitant le dualisme lui-même.
L'âme et le corps ne sont pas deux substances, ni même une seule. Dieu
est pour lui la seule substance qui soit. L'âme et le corps sont deux
aspects d'un même mode (l'homme) de l'unique substance divine (Dieu
est la seule substance qui soit), celle-ci pouvant, ainsi que ses modes,
être comprise par nous sous deux aspects (sous deux "attributs"),
la pensée et l'étendue. L'âme et le corps sont simplement deux manières
différentes d'appréhender un même mode de la substance divine.
Au XXe siècle, le
courant phénoménologique reprendra à nouveaux frais le thème de l'homme
comme sujet incarné. Nous verrons que ce courant s'appuie sur une toute
autre conception du cogito que celle de Descartes.
b. Sur
le procédé réflexif
Descartes estime
que la réflexion de la pensée sur elle-même a valeur d'intuition
intellectuelle. Cette réflexion aurait la propriété exceptionnelle
de produire l'identité de la pensée et de l'objet de la pensée,
ce qui correspond à l'idéal même de la vérité ("adaequatio
rei et intellectus"). Le sujet pensant sa propre réalité
pensante serait en pleine possession de soi.
Le terme "cogito" est
cependant équivoque : tantôt il signifie un acte de penser (comme
l'indique le verbe), tantôt il signifie un objet de pensée (comme
l'indique le verbe substantivé). Kant considérera, que le "ich
denke", qui est la condition de possibilité de tout objet
de connaissance, ne peut être lui-même objet de la connaissance
(pour lui donc, il n'y a pas de connaissance de l'âme).
Dans la réflexion
sur soi et la pratique du fameux "connais-toi toi-même",
il y a, en fait, toujours une différence entre la cogitatio
et le cogitatum. Je ne puis en même temps réfléchir sur
moi et prendre en considération l'acte même par lequel je réfléchis.
La réflexion totale et adéquate est impossible. Elle laisse toujours échapper ce que la phénoménologie
contemporaine appellera "l'intentionnalité en exercice".
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UCL | Droit
| Mise à jour : 03.03.99 - Responsable : Thomas
De Praetere
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