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CHAPITRE II b
LA NATURE HUMAINE

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II. La définition introspective
    1. La méthode cartésienne
    2. Définition cartésienne de l'homme
    3. Commentaires


II. LA DEFINITION INTROSPECTIVE

René Descartes (1596-1650)
Pour Descartes, l'homme est une âme (chose pensante) unie à un corps. Cette définition dualiste était déjà celle de Platon, encore que celui-ci considérait les corps sensibles comme de simples reflets des idées seules subsistantes. La méthode qui aboutit à cette définition n'est plus de comparer l'homme et les autres vivants, mais de décrire la vie intérieure du sujet et les idées que comporte sa seule pensée. La nature de l'homme se découvre par la simple pratique du "connais-toi to-même" de Socrate.

 


1. La Méthode cartésienne

Descartes recherche un fondement inébranlable pour assurer nos connaissances. Ce ne peut être l'expérience car nos sens nous trompent parfois et cela rend douteuse cette source de connaissance. Descartes s'en remet alors à la pensée, non à celle qui abstrait des concepts à partir de l'observation des données sensibles, mais à celle qui serait capable d'intuitionner directement une réalité (le mot intuition renvoie au mot latin intueri, voir, ce qui évoque une relation immédiate, c'est-à-dire, étymologiquement toujours, sans intermédiaire). Il s'apparente ainsi aux philosophes qui soutiennent la possibilité d'une intuition intellectuelle, c'est-à-dire la possibilité de connaître une réalité par la pensée seule. (Platon, par exemple, se détournait des données sensibles pour mieux contempler les idées subsistantes. Un autre exemple célèbre est la preuve de l'existence de Dieu dite "argument ontologique" inauguré par Saint Anselme, au XIe s. : j'ai l'idée d'un être parfait, donc il existe parce que sinon ce ne serait pas un être parfait que j'aurais pensé). Pour Descartes, une intuition intellectuelle a lieu dans le cas de la réflexion car là, la pensée s'intuitionne elle-même.

La démarche cartésienne est bien expliquée au fil des six Méditations métaphysiques qu'il a fait paraître en 1641.

 

Les Méditations métaphysiques

TABLE DES MATIÈRES
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PREMIÈRE MÉDITATION: Des choses que l'on peut révoquer en doute

MÉDITATION SECONDE: De la nature de l'esprit humain, et qu'il est plus aisé à connaître que le corps

MÉDITATION TROISIÈME: De Dieu; qu'il existe

MÉDITATION QUATRIÈME: Du vrai et du faux

MÉDITATION CINQUIÈME: De l'essence des choses matérielles: et, derechef, de Dieu; qu'il existe

MÉDITATION SIXIÈME: De l'existence des choses matérielles, et de la réelle distinction qui est entre l'âme et le corps de l'homme

 

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DOUTE

Je puis douter de tout (des données des sens et même, dans l'hypothèse d'un malin génie qui me séduirait, des évidences rationnelles comme celles de la géométrie ou de l'arithmétique.

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COGITO

Il y a une exception : "je suis, j'existe" en tant qu'une "chose qui pense", car cela (et cela seul) m'est évident déjà dans le seul fait que je doute. Cette évidence est claire et distincte. Quant à savoir si les vérités mathématiques ne sont pas l'effet d'un malin génie trompeur et si la pensée que je vois, la pensée que j'entends, la pensée que j'ai un corps, ont un corrélat réel, je ne puis en être assuré - dans la mesure où j'ai là des idées aussi "claires et distinctes" que celle qui vient d'être établie - qu'à la condition d'avoir une preuve de l'existence de Dieu en tant qu'être infini, parfait et ne pouvant donc pas me tromper ("vérace").

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DIEU

 

Cette preuve, Descartes l'obtient par un argument de causalité appliqué à l'idée, qu'il trouve en lui, d'un être parfait (ce n'est donc pas ici l'argument ontologique) : moi qui suis fini et imparfait (puisque je doute) je ne puis que l'avoir reçue d'un être infini et parfait.

Un tel être, qui existe, ne garantit certes pas mes idées confuses, mais il ne peut me tromper lorsque j'ai de quelque chose une idée claire et distincte.

La méthode cartésienne est donc de soumettre la connaissance au critère a priori de l'idée claire et distincte. ceci n'est autre que le projet d'une "mathesis universalis", c'est-à-dire d'une méthode a priori pour trouver la vérité dans les sciences en général. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre le titre du Discours de la méthode de 1637.

4

ERREUR

La quatrième méditation est une digression sur le thème de l'erreur : celle-ci survient lorsque la volonté (d'affirmer ou de nier) dépasse ce que l'entendement a clairement compris.

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ETENDUE

La cinquième des six méditations pose ce qui constitue l'idée claire et distincte de l'essence des choses matérielles : l'étendue et ses modes (géométrie). C'est en effet son caractère "partes extra partes" qui distingue la res extensa de la res cogitans (la pensée, à proprement parler, n a pas de parties). On peut donc avoir une connaissance certaine (vu la véracité divine) des propriétés mathématiques de l'étendue en général. Mais ceci ne nous dit encore rien de l'existence des choses étendues.

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EXISTENCE DES CHOSES MATÉRIELLES

Quant à l'existence hors de nous de choses corporelles correspondant à leurs idées, la sixième méditation nous en rassure par ce que, Dieu m'ayant donné "une très grande inclination à croire qu'elles me sont envoyées ou qu'elles partent des choses corporelles, je ne vois pas comment on pourrait l'excuser de tromperie si, en effet, ces idées partaient ou étaient introduites par d'autres causes que par des choses corporelles".

Mais Descartes ajoute aussitôt : "toutefois elles ne sont peut-être pas entièrement telles que nous les apercevons par les sens, car cette perception des sens est fort obscure et confuse en plusieurs choses : mais au moins faut-il avouer que toutes les choses que j'y conçois clairement et distinctement, c'est-à-dire toutes les choses généralement parlant qui sont comprises dans l'objet de la Géométrie spéculative, s'y retrouvent véritablement". Descartes récupère donc, mais de façon sélective, l'objet de la certitude sensible.

En conclusion, nous pouvons voir en quel sens Descartes a pu être déclaré "le" philosophe de la subjectivité. Ce primat de la subjectivité se trouve paradoxalement en accord avec l'évolution moderne de la science expérimentale. Celle-ci "arraisonne". Elle soumet toute expérience aux exigences a priori de l'esprit (la mathématique notamment). Elle structure ainsi d'avance ce qu'elle tient pour objectif. L'utilisation de cette méthode se révéla extrêmement féconde dans les science empiriques, sciences de la nature d abord, sciences humaines ensuite (ce qui soulèvera des problèmes considérables qui seront examinés dans les chapitres suivants).


2. Définition cartésienne de l'homme

Pour Descartes, l'intuition intellectuelle réflexive donne l'évidence d'une réalité pensante autonome, une res cogitans. Celle-ci n'est pas une âme au sens aristotélicien, qui serait principe de vie pour un corps dont elle serait la forme inséparable. Descartes récuse d'ailleurs explicitement la méthode aristotélicienne avec ses interminables comparaisons : "qu'est-ce qu'un homme? Dirais-je que c'est un animal raisonnable? Non certes, car il faudrait par après rechercher ce qu'est un animal, et ce que c'est que raisonnable, et ainsi d'une seule question nous tomberions insensiblement en une infinité d'autres plus difficiles et embarrassées, et je ne voudrais pas abuser du peu de temps et de loisirs qui me reste en l'employant à démêler de semblables subtilité" (deuxième méditation).

Or il se fait que je pense que je vois, entends, m'échauffe; bref, je pense que j'ai un corps. L'évidence du cogito englobe ces pensées mais elle ne porte pas sur l'objet de ces pensées. La deuxième des Méditations s'intitule pour cette raison "De la nature de l'esprit humain, et qu'il est plus aisé à connaître que le corps".

La certitude d'avoir un corps dépend, quant à elle, des deux conditions générales de la méthode : la véracité divine et l'idée claire et distincte. Dieu ne peut me tromper dans le sentiment que j'ai d'avoir un corps pour autant que je puisse avoir de celui-ci une idée claire et distincte. Or, l'essence intelligible des choses corporelles est l'idée d'étendue et de ses modes. Ainsi ma certitude du corps est-elle intellectuelle (j'y viens par un raisonnement) indirecte (j'y viens pas la véracité divine) et réduite à son étendue. Il résulte de ce dernier point que le corps est absolument hétérogène à l'âme. L'extériorité des parties entre elles est ce qui distingue radicalement la chose étendue de la chose pensante. Il y a dualité en l'homme de la res cogitans et de la res extensa, bien que celles-ci soient unies entre elles par le sentiment pratique qui lie la pure pensée à son milieu corporel.


3. Commentaires

a. Sur le dualisme

La théorie dualiste permet de penser que je ne suis pas seulement mon corps et que donc ma pensée dépasse celui-ci. Elle permet, en outre, de concevoir une destinée éternelle de la substance pensante par delà la corruption du corps.

D'autre part, elle échoue à rendre compte des rapports vécus entre l'esprit et le corps. Descartes le reconnaissait lui-même :

"Ainsi l'entendement, la volonté et toutes les façons de connaître et de vouloir, appartiennent à la substance qui pense; la grandeur, ou l'étendue en longueur, largeur et profondeur, la figure, le mouvement, la situation des parties et la disposition qu'elles ont d'être divisées, et telles autres propriétés, se rapportent au corps. Il y a encore, outre cela, certaines choses que nous expérimentons en nous-mêmes, qui ne doivent pas être attribuées à l'âme seule, ni aussi au corps seul, mais à l'étroite union qui est entre eux ainsi que je l'expliquerai ci-après : tels sont les appétits de boire, de manger, et les émotions ou les passions à la colère, à la joie, à la tristesse, à l'amour, etc...; tels sont tous les sentiments, comme la lumière, les couleurs, les sons, les odeurs, le goût, la chaleur, la dureté, et toutes les autres qualités qui tombent sous le sens de l'attouchement" (Les principes de la philosophie, I, § 48).

Descartes situe l'union de l'âme et du corps dans la "glande pinéale", mais ce n'est pas une solution parce que cela laisse entier le mystère de l'interaction de deux principes hétérogènes.

Un autre rationaliste, Leibniz (Allemagne, 1646 - 1716), contournera le problème de l'interaction : la concordance des modifications de l'esprit et de celles du corps vient de ce que Dieu a préalablement réglé l'un et l'autre de manière à ce que leurs histoires s'accordent, comme dans le cas de deux horloges qui marqueraient la même heure par une "harmonie préétablie". Remarquons que, dans ces conditions, il devient difficile de prendre la manifestation des choses comme fondement de quelque savoir que ce soit. De plus, notre esprit serait déterminé par la programmation divine et donc dépourvu de liberté.

Un autre rationaliste, Spinoza (Hollande, 1632 - 1677) avait quant à lui, évité le problème de l'interaction en évitant le dualisme lui-même. L'âme et le corps ne sont pas deux substances, ni même une seule. Dieu est pour lui la seule substance qui soit. L'âme et le corps sont deux aspects d'un même mode (l'homme) de l'unique substance divine (Dieu est la seule substance qui soit), celle-ci pouvant, ainsi que ses modes, être comprise par nous sous deux aspects (sous deux "attributs"), la pensée et l'étendue. L'âme et le corps sont simplement deux manières différentes d'appréhender un même mode de la substance divine.

Au XXe siècle, le courant phénoménologique reprendra à nouveaux frais le thème de l'homme comme sujet incarné. Nous verrons que ce courant s'appuie sur une toute autre conception du cogito que celle de Descartes.


b. Sur le procédé réflexif

Descartes estime que la réflexion de la pensée sur elle-même a valeur d'intuition intellectuelle. Cette réflexion aurait la propriété exceptionnelle de produire l'identité de la pensée et de l'objet de la pensée, ce qui correspond à l'idéal même de la vérité ("adaequatio rei et intellectus"). Le sujet pensant sa propre réalité pensante serait en pleine possession de soi.

Le cogitant est le sujet de la cogitationLe terme "cogito" est cependant équivoque : tantôt il signifie un acte de penser (comme l'indique le verbe), tantôt il signifie un objet de pensée (comme l'indique le verbe substantivé). Kant considérera, que le "ich denke", qui est la condition de possibilité de tout objet de connaissance, ne peut être lui-même objet de la connaissance (pour lui donc, il n'y a pas de connaissance de l'âme).

Dans la réflexion sur soi et la pratique du fameux "connais-toi toi-même", il y a, en fait, toujours une différence entre la cogitatio et le cogitatum. Je ne puis en même temps réfléchir sur moi et prendre en considération l'acte même par lequel je réfléchis. La réflexion totale et adéquate est impossible. Elle laisse toujours échapper ce que la phénoménologie contemporaine appellera "l'intentionnalité en exercice".

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UCL | Droit | Mise à jour : 03.03.99 - Responsable : Thomas De Praetere

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