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CHAPITRE II e
LA NATURE HUMAINE

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V. Le renvoi à l'existence
    1. La méthode existentielle
    2. Résultat concernant la nature humain
    3. Commentaires

VI. Conclusion et transition


V. LE RENVOI A L'EXISTENCE

La définition d'une nature humaine a aussi paru impossible a des philosophes qui se sont référés, plutôt qu'à la dialectique, à l'expérience individuelle de la liberté.

1. La méthode existentielleJean-Paul Sartre (1905-1980)

La philosophie dite de l'existence est représentée par Jean-Paul Sartre (1905-1980), Karl Jaspers (Allemagne, 1883-1969) et Gabriel Marcel (1889-1973). On trouve également certains éléments de cette philosophie chez Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) et chez Martin Heidegger (1889-1976).

Les précurseurs sont, au XIXe siècle, Sören Kierkegaard (Danemark, 1813-1855) et Frédéric Nietzche (1844-1900). Ils s'opposent à la méthode dialectique de type hégélien en ce qu'elle prétend à une compréhension rationnelle d'une totalité qui englobe les hommes et leur histoire singulière.

L'existentialisme consiste à partir de l'expérience individuelle vécue. L'existence sur laquelle les philosophes s'interrogent depuis toujours, est d'abord mon existence. Cette expérience n'est pas une expérience scientifique parce qu'elle n'a rien d'objectif : je ne suis pas objet mais projet, et c'est par celui-ci que les objets ont une signification (signification scientifique le cas échéant). En ce sens, je ne "suis " pas, "j'existe", au sens quasi étymologique où "ek-sister" signifie sortir de soi, ce qui ne s'applique qu'à la réalité humaine.

L'existence ainsi entendue est identique à la liberté : je ne fais point partie du système des choses. Je ne suis donc soumis à aucun déterminisme au niveau du sens que, par mes choix, je confère aux choses et à moi-même. Je ne puis me réfugier derrière une explication objective de mes choix par des motifs (rationnels) ou des mobiles (affectifs). L'angoisse est existentielle: je suis entièrement responsable des valeurs que je crée dans mon action.


2. Résultat concernant la nature humaine

De l'homme, on ne peut dire qu'il  "est" ... L'ouvrage principal de Sartre porte le titre : L'être et le néant (1943).

Les choses sont et elles l'ignorent. Elles sont ce qu'elles sont, coïncident avec leur essence (la définition que l'on peut en donner). Ce qu'elles sont n'est pas un problème pour elles : elles sont "en soi" et non "pour soi".

De l'homme, on ne peut dire qu'il "est" au sens où il serait ceci ou cela et coïnciderait de la sorte avec une essence (définition) de lui-même. Je suis un "pour soi"parce que mon essence est fondamentalement un problème pour moi et que je n'ai pas trop de toute ma vie pour tenter (et seulement tenter), par mes actes, de me définir. Si je ne suis jamais tel ou tel être, c'est qu'en somme je ne suis que "néant" d'être. Le "pour-soi" contrairement aux choses définissables, n'est pas mais "a à être". En d'autres termes, pour nous, "l'existence précède l'essence", tandis que, pour les choses, on peut toujours imaginer qu'un artisan ou un créateur les a produites en fonction d'une essence conçue à l'avance.

Dire que l'homme existe signifie qu'il est toujours en projet. Non seulement il a des projets, mais il est projet de lui-même. Tant qu'il vit, il est en train de se définir. I1 n'y a donc pas de nature de l'homme. Sans doute nous distinguons-nous des pierres et des animaux, mais c'est uniquement par le fait, absolument négatif, que notre définition est une question pour chacun de nous. On a là une quasi-définition, mais qui consiste en ce qu'il n'y a pas de définition. Sartre exprime ce même paradoxe sous la forme suivante : nous sommes condamnés à être libres.

Pouvons-nous réussir cette entreprise que nous sommes? Réussir à se définir enfin, à se réaliser et à s'accomplir, reviendrait à faire la synthèse de l'en-soi et du pour-soi. Cette synthèse est contradictoire de sorte que, du point de vue de l'objectif final, l'existence est absurde.

La seule entreprise cohérente est de se donner comme but, plutôt que cet accomplissement, le mouvement même de la liberté. Certes, nous ne pouvons pas ne pas être libres, mais il nous arrive de vivre dans une aliénation que Sartre appelle "mauvaise foi" et qui consiste à se réfugier dans le rôle d'un personnage bien défini, une essence, un "gros plein d'être", qu'il s'agisse d'un garçon de café, d'un académicien, d'un voyou ou d'un prix Nobel. Dans ce cas, nous prétendons nous identifier à une valeur préétablie au lieu de reconnaître que nous créons nos propres valeurs par le projet que nous faisons inévitablement de nous-mêmes. Il n'y a pas de valeur morale rationnelle et universelle préexistant à ce choix. Toutefois, les libertés sont solidaires. Transformer autrui en chose inférieure pour me poser en essence supérieure (comme l'inverse d'ailleurs), c'est nier tout à la fois sa liberté et la mienne.


3. Commentaires

Sartre se déclare athée parce qu'il considère que l'idée de Dieu ("parfait") est contradictoire au même titre que la synthèse de l'en-soi et du pour-soi. D'autres existentialistes sont croyants comme G. Marcel, qui considère que Dieu, est indicible mais pas inexistant pour autant.

Les philosophes de l'existence partent de l'expérience vécue de la liberté et de la responsabilité. Ils s'opposent, concernant l'homme, à tout déterminisme, qu'il procède d'une interprétation dialectique rationnelle de l'histoire ou qu'il procède d'une pensée objectivante de type scientiste.

Le courant peut sembler subjectiviste et individualiste. Sartre fit cependant paraître, en 1960, la Critique de la raison dialectique, dans laquelle l'histoire prend sa place. La méthode dialectique intervient ici, mais pas en tant qu'entreprise d'explication de la réalité humaine par une totalité qui l'englobe et lui donne sens. Il s'agit de montrer que la liberté humaine est projet en situation, que celle-ci est historique et collective, et que les individus peuvent s'unir en groupes librement choisis pour s'arracher aux aliénations que leur pratique même engendre ("le pratico-inerte"). Sartre estime que la pensée existentialiste est ainsi à même de redonner vie au marxisme qu'il trouve étranglé par le dirigisme (totalitarisme) et l'historicisme (déterminisme).


VI. CONCLUSION ET TRANSITION

Les définitions présentées initialement (animal raisonnable, âme spirituelle unie à un corps) ont été sévèrement critiquées, comme on a pu le voir. Or, malgré cela, des définitions du genre de celle d'Aristote demeurent culturellement présentes et nous semblent porteuses d'une certaine vérité. En général, nous pensons que quelque chose nous distingue des (autres) animaux et nous avons des convictions humanistes au moins implicites. Faut-il abandonner cette attitude ?

En guise de conclusion de ce chapitre, on peut se référer à la manière dont un philosophe français contemporain, Eric Weil (mort en 1977), a traité cette question dans les premières pages d'un livre intitulé Logique de la philosophie (voir pages en annexe).

Il s'étonne d'abord que la définition "animal raisonnable" persiste alors que tout le monde sait que la raison n'est pas un caractère facile à voir et que d'ailleurs bien des hommes sont loin d'être raisonnables.

Reprenant alors la définition traditionnelle d'origine aristotélicienne, il la réhabilite au prix d'un changement radical de modalité :

"L'homme est un animal doué de raison et de langage : cela veut donc dire et est destiné à dire exactement ce qui semblait surprenant tout à l'heure, à savoir que les hommes ne disposent pas d'ordinaire de la raison et du langage raisonnable, mais qu'ils doivent en disposer pour être des hommes pleinement. L'homme naturel est un animal ; l'homme tel qu'il veut être, tel qu'il veut que soit l'autre pour que lui-même le reconnaisse pour son égal, doit être raisonnable. Ce que décrit la science n'est que la matière à laquelle il faut encore imposer une forme, et la définition humaine n'est pas donnée pour que l'on puisse reconnaître l'homme, mais afin qu'on puisse le réaliser."

Ce texte amène une nuance importante.  La définition traditionnelle peut avoir du sens à condition qu'on la comprenne non comme une définition scientifique mais comme une "définition humaine".  C'est à dire qu'elle n'est pas théorique mais pratique, projective pour l'action.  L'homme n'est donc pas raisonnable de façon objective mais il est celui dont on attend qu'il soit raisonnable.  Il n'est donc pas ceci ou cela, il "a à être".  C'est avant tout la négativité par rapport au donné qui constitue son trait distinctif et cela est d'un autre ordre que tous les caractères plus ou moins visibles et constatables (depuis le bipède sans plumes jusqu'à l'animal raisonnable).

Si l on se réfère à l aperçu historique du présent chapitre, on s aperçoit que le nouveau type de définition indiqué par Weil tient compte des critiques émises depuis le 18e siècle relativement à la possibilité de définir l homme. Selon les philosophies de l'expérience (Hume, Kant) on ne peut donner une définition scientifique de l'essentiel de l'homme si l'on entend par là son identité personnelle, sa pensée, sa dignité, etc. Selon la philosophie de l'histoire (Hegel, Marx) et selon l'existentialisme (Sartre) le devenir et l'autoréalisation font obstacle aux tentatives de définition stable.

Toutefois, bien des problèmes subsistent après qu on ait dit qu on ne définit pas l'homme comme on le fait pour un objet et que donc une définition objective n'est pas adéquate. Reste notamment le débat entre la philosophie hégélienne de l histoire et l existentialisme. On aura remarqué que le texte de Weil ne se contente pas de dire que l'homme se projette lui-même, se définit sans cesse, se réalise, "a à être", doit être, etc. Il dit aussi que l'homme doit être raisonnable. Que signifie ceci ?  Ne serait-ce pas une exigence supplémentaire bien-pensante mais non justifiée ?  Les existentialistes se contentent généralement de dire que l'homme se réalise et cela semble suffire pour le distinguer.  En fait, ce n'est pas si simple et Sartre l'a d'ailleurs quelque part perçu : se réaliser n'est possible qu'en situation, dans une pluralité, et les libertés sont solidaires.  Cela suppose donc la communication et la discussion.  Or le langage est une institution sociale, il implique des règles et même une morale de la discussion avec autrui.  Sans reprendre intégralement l'hégélianisme, il faut bien reconnaître au moins cet ancrage socio-historique de l'autoréalisation. On ne peut donc se passer de l'élément de la raison dans la définition de l'homme, quand bien même on sait à présent que le mot "définition" (ou "nature" ou "essence"), lorsqu'il s'agit de nous-mêmes, doit toujours être mis, au moins mentalement, entre guillemets.           

Dans les chapitres suivants, nous allons étudier les aspects fondamentaux de l existence humaine : la corporéité, le rapport à autrui, la réflexion, la société.  Chaque fois, conformément à la conclusion du présent chapitre, on veillera à préciser comment ces aspects ne se ramènent pas à des données objectives.  Comme il est impossible de parler de tout à la fois (notre pensée est "discursive") nous devons choisir un point de départ. Nous commencerons par une étude du sujet humain en laissant à l arrière plan son appartenance sociale. Ensuite viendra le moment de lever l hypothèque, de parler de la société et de voir comment on peut concilier projet individuel et condition sociale.

En ce qui concerne l analyse du sujet lui-même, nous prendrons comme point de départ ce qui faisait particulièrement problème dans l'opposition entre les conceptions aristotélicienne et cartésienne, à savoir l'unité de l'homme et les rapports entre corps et âme.  Nous abordons ainsi le thème de l'incarnation du sujet..

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UCL | Droit | Mise à jour : 03.03.99 - Responsable : Thomas De Praetere

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