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CHAPITRE III b
LE SUJET INCARNÉ

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II. Une nouvelle description de la conscience
    1. La conscience est intentionnelle et par là donatrice de sens
    2. L'intentionnalité peut être pré-réflexive ou réflexive
    3. La conscience préréflexive est primordiale
    4. La réflexion n'est jamais adéquate


II. UNE NOUVELLE DESCRIPTION DE LA CONSCIENCE

Il ne faut pas nécessairement abandonner le point de vue de la conscience pour sortir de l'impossibilité où se trouvait Descartes de penser l'incarnation du sujet. Il suffirait peut-être de cesser de la concevoir comme une substance autosuffisante et pleinement réflexive. C'est ce qu'ont tenté de faire les phénoménologues, Husserl (1859-1938) et Heidegger (1889-1976) en Allemagne, Sartre (1905-1980) et Merleau-Ponty (1908-1961) en France, De Waelhens (1911-1981) en Belgique. La phénoménologie (le sens du mot n'est pas le même ici que chez Hegel) est une nouvelle manière de décrire la conscience et ses contenus. Les thèses essentielles de la phénoménologie, dont vont s'inspirer ce chapitre et les deux suivants, peuvent être ramenés schématiquement à quatre points.


1. La conscience est intentionnelle et par là donatrice de sens

Nous sommes conscients, certes, mais nous ne le sommes qu'en étant conscients de...

"La conscience, écrit Merleau-Ponty, est de part en part transcendance", c'est-à-dire dépassement de soi dans la chose visée, son objet. Il n'y a pas d'intériorité pure de la conscience, de subjectivité purement réduite à elle-même. Je puis, certes, penser à moi, mais même dans ce cas, l'intentionnalité que j'exerce (cogitatio) porte sur un objet (cogitatum) qui ne s'identifie pas à cette intention. La conscience n'est pas un objet mais une ouverture, une orientation (noèse) vers ce qui constitue son pôle objectif (noème).

Comme d'autre part il n'y a d'objet que pour une conscience, la conscience est, d'après Husserl, constituante. En disant cela, Husserl ne se prononce pas sur la question de savoir s'il existe des choses hors de moi indépendamment de ma visée. Il appelle "réduction" le fait de laisser en suspens cette question qui oppose les philosophes réalistes et des philosophes idéalistes. Ce qui l'intéresse est le sens que la conscience confère à ses noèmes. Cette constitution de la chose est la "Sinngebung". Il y a l'objet perçu, l'objet imaginé, l'objet utile, l'objet troublant, etc, qui sont corrélatifs à la conscience percevante, imaginante, pratique, émue, etc. On peut caractériser ces différentes intentionnalités ainsi que les "essences régionales" qui y correspondent. Cette démarche descriptive portant sur les manières d'apparaître mérite bien le nom de "phénoménologie" (à ne pas confondre avec la phénoménologie hégélienne). Il s'agit par là de dépasser ce que Husserl appelle "l'attitude naturelle" et qui consiste en une tendance dogmatique à oublier que nous constituons les choses quant à leur signification (même si, à l'intérieur de cette constitution, il importe de distinguer notamment la constitution de l'objet perçu et la constitution de l'objet imaginé).


2. L'intentionnalité peut être pré-réflexive ou réflexive

La conscience pré-réflexive est simplement vécue : elle est spontanée, naïve. N'étant pas un objet, elle est transcendante au sens dit plus haut, mais elle ne le sait pas; elle est conscience mais non conscience de soi explicite. Seul son objet l'occupe. Elle est "absorbée" par l'objet, elle s'y fond, bien qu'elle n'en soit pas un et bien qu'elle en constitue le sens. Ce niveau de conscience se caractérise par l'indistinction sujet-objet (indistinction pour elle-même, bien entendu) et par l'anonymat (pour elle-même également). L'absence de position de soi comme "je" justifie que l'on parle ici de "pré-sujet" (De Waelhens) ou de "cogito tacite" (Merleau-Ponty).

La conscience réflexive n'est pas seulement consciente, elle prend conscience simultanément de son objet, qu'elle distingue d'elle-même, (qu'elle "thématise"), et d'elle-même en tant que distincte de lui (elle est "thétique de soi"). Elle sait ce qu'elle fait. Ce niveau est celui de la prise en charge, de la parole et de la responsabilité où le mot "je" apparaît.

Le rapport à l'obstacle et le rapport à autrui semblent nécessaires au passage du premier au second niveau.


 

3. La conscience préréflexive est primordiale

Toute réflexion suppose un préréfléchi. La conscience de soi suppose un niveau conscient déjà là. C'est ce qui fait dire à Merleau-Ponty qu'il n'y a pas de phénoménologie de la naissance.

Corrélativement, la conscience étant toujours donatrice de sens, les choses ont déjà un sens avant que je ne m'interroge à leur propos. Il y a donc un "monde primordial", vécu, une "Lebenswelt" avant toute réflexion. On ne peut donc réfléchir au départ d'une table rase.


4. La réflexion n'est jamais adéquate

La conscience claire, qui se pose elle-même tout en posant son objet, s'enracine dans une conscience spontanée. Elle est donc toujours seconde. Peut-elle du moins jeter sa lumière sur le vécu tacite qui la sous-tend? Sans doute puis-je me mettre à décrire l'état où j'étais avant la réflexion. Toutefois, rien ne me garantit que je parviendrai à éclairer toute cette zone d'ombre précédente. Mais il y a plus grave. Tandis que je réfléchis, j'exerce de ce fait même une nouvelle intentionnalité et celle-ci ne fait pas l'objet de la réflexion exercée. Ainsi la réflexion constitue-t-elle simultanément un nouvel irréfléchi. Si je me penche sur celui-ci à son tour, un nouvel irréfléchi encore se produira et ainsi de suite à l'infini

Ce qui m'échappe ainsi n'est pas un détail mais la source même de la réflexion (l'intentionnalité en exercice).

Le "connais-toi toi-même" de Socrate ne peut donc se pratiquer que dans une entreprise forcément incessante et inachevée.

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UCL | Droit | Mise à jour : 03.03.99 - Responsable : Thomas De Praetere

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